épopéesNos Voyages

Alsace 2003

Par Jean-Jacques  Dujardin.

Après le succès de la fête des 80 ans de la princesse et des 20 ans de l’association, un autre défi se présentait à nous, celui de la réussite du plus grand périple de l’année : le voyage en Alsace.

Cette balade, commandée par un affréteur anglais, amène notre secrétaire Alain à s’atteler à la lourde tâche de l’organisation.

Dès la réception de l’agrément de notre machine, soit deux mois et demi avant la date de départ prévue, Alain demande à la région SNCF de Rouen  l’autorisation d’organiser un train spécial vapeur au départ de Paris Est pour Strasbourg et Mulhouse par la ligne 1 et retour par la ligne 4 , Mulhouse-Paris par Troyes. A cette demande s’ajoute bien évidemment l’aller et retour entre Rouen et Paris Est.

Au sein de l’association, la confiance est solide. La machine, belle et resplendissante, respire la santé et elle ambitionne pouvoir emmener le groupe de 114 Anglais et d’une trentaine de membres du PACIFIC VAPEUR CLUB (PVC) dans une région où mûrissent quelques bons millésimes chers à certains dont je tairai les noms.

Maintenant qu’Alain est assuré que la région SNCF de Rouen s’occupe de notre demande, il prépare avec minutie l’itinéraire et la logistique. Cartes en mains, il détermine que les prises d’eau devront se faire à Château-Thierry, Vitry-le-François, Toul et Réding pour l’aller puis Vesoul, Chaumont, Troyes et Romilly pour le retour. Il envisage que la prise de charbon devrait pouvoir se faire à Toul pour l’aller et à Chaumont pour le retour. Ceci étant établi, Alain se rend dans chacune de ces gares pour étudier sur place la faisabilité de ses prévisions. Tous les lieux de stationnement et toutes les possibilités sont étudiés en accord avec les chefs de gare qui, pour certains, ignorent notre venue, ce qui révèle un certain flottement dans l’organisation de la SNCF. Hormis le chef de gare de Strasbourg qui refuse le stationnement de notre rame rétro dans sa gare, tous les autres montrent un réel plaisir de nous voir circuler. De retour, Alain reste confiant et poursuit sans relâche son travail d’organisateur. Les prises d’eau de Château Thierry et de Vesoul devront être assurées par les pompiers. Pour le ravitaillement en charbon, une demande est faite auprès de notre fournisseur qui devra mettre à notre disposition un wagon tombereau en gare de Toul, wagon que nous attellerons à notre rame pour la suite du voyage. Des chambres d’hôtels sont réservées à Strasbourg et à Mulhouse pour certains accompagnateurs du PVC et le choix des victuailles est minutieusement établi par Alain qui a la ferme intention de bien nourrir ses troupes. Une démarche est entreprise auprès du directeur du musée de Mulhouse pour qu’il accepte de recevoir notre rame et sa machine dans l’enceinte même du musée. L’affaire est conclue avec, en prime, la promesse faite par le PVC de commander au restaurant du musée une soirée alsacienne avec choucroute garnie et musique d’ambiance. La fête se prépare, l’euphorie est grandissante.

Deux mois se sont écoulés, l’organisation du périple se présente bien. Les pompiers de Château-Thierry et de Vesoul ont donné leur accord pour le ravitaillement en eau et le fournisseur de charbon mettra à notre disposition un wagon en gare de Toul.

Pourtant, malgré ces bonnes nouvelles, un doute plane. Le manque de réponse de la SNCF commence à nous inquiéter. Nous sommes à quinze jours du départ et nous n’avons encore aucune confirmation de la faisabilité de notre voyage. L’organisateur anglais s’impatiente, il réclame dans les meilleurs délais l’horaire de départ de Paris Est ainsi que ceux d’arrivée et départ de Strasbourg, Colmar et Mulhouse.

Alain téléphone à la direction de Rouen et s’entend garantir que notre affaire est en cours de traitement, que le retard est la conséquence d’un manque de réponse de certaines régions. Il faut préciser qu’il y a huit régions SNCF à traverser. Nous acceptons l’excuse et nous peaufinons les préparatifs tout en rassurant du mieux que nous pouvons notre affréteur anglais.

Les jours s’égrainent lentement et rien ne bouge. Trois jours avant le départ, exaspéré et inquiet, Alain reprend contact avec la direction SNCF. Il apprend qu’une région n’a toujours pas donné son accord et que, sans cet accord rien ne pourra s’organiser. C’est la stupéfaction. Les Anglais sont à une journée du départ de leur île et nous ne sommes pas en mesure d’assurer le train spécial qu’ils ont commandé depuis des mois ! Les membres du bureau se mobilisent. Il faut absolument débloquer la situation. Notre président Gilbert et notre secrétaire Alain, tels des standardistes de l’ancien temps, vont sentir leurs oreilles chauffer par les coups de téléphone qu’ils vont passer. La confirmation tombe, brutale : il y a bien un loupé, Paris Est n’est pas au courant de notre venue donc aucune marche horaire n’a pu être établie.

Voyant que nous n’aurons plus à temps les horaires fermes et définitifs, Gilbert, en président décidé et convaincant, court-circuite la voie hiérarchique SNCF et appelle quelques connaissances puis le PC de Paris Est qui accepte de prendre l’affaire en main. Il faut faire vite, nous ne sommes plus qu’à 48 heures du départ. Pendant ce temps, l’affréteur anglais nous assaille de coups de téléphone, il veut les horaires que nous ne possédons pas. Sous notre responsabilité, nous l’informons que son groupe devra se trouver en gare de l’Est pour un départ vers 8h00. C’est ce qui a été demandé mais nous savons pertinemment que ce souhait n’est qu’un désir utopique. Peu importe, il nous faut savoir prendre une initiative optimiste. Dans le même temps, la direction du musée de Mulhouse nous avise que, compte tenu du manque d’information sur notre horaire d’arrivée, l’entrée dans le musée ne pourra se faire. Certains esprits mal intentionnés pourraient voir un acharnement à vouloir gâcher notre voyage mais nous sommes des gens équilibrés et, suivant la méthode Coué, nous pensons en chœur que tout va bien, tout va bien, tout va bien… !

Trente-six heures avant le départ, après d’innombrables relances, nous sommes informés par téléphone qu’une marche de train a été établie grâce à la complicité des PC de Paris Est, Nancy et Strasbourg. C’est le miracle ! « Départ de Paris Est à 10h20 pour une arrivée à Strasbourg à 23h30 et 0h15 pour Sélestat. C’est un horaire trop tardif pour satisfaire nos Anglais mais, que pouvons-nous faire d’autre que de l’accepter sans broncher ! C’est ce que nous faisons en sachant que, de toute manière, il est trop tard pour les prévenir puisqu’ils sont déjà embarqués sur le ferry à destination du Havre.

A 18h00, la veille du départ de Sotteville, nous apprenons que notre rame quittera Sotteville dès 8h00. Le soir même une équipe part allumer la machine. Le moral remonte, le feu vert pour notre grand périple semble vouloir s’allumer mais, que de soucis… !

Mardi 27 mai 2003

A 8h00 tout est en ordre. La machine est en pression et l’équipe est en place pour emmener la rame sur Paris quand un premier grain de sable nous retarde : le CTRA dont la présence est obligatoire, est absent. Après quelques interventions des responsables SNCF, il s’en trouve un qui accepte de nous accompagner. Notre rame quitte Sotteville avec 45 minutes de retard. Ce n’est pas grave, le départ de Paris Est n’est que le lendemain matin. La machine roule sans problème. L’espoir que les ennuis arrivent à leur fin se dessine. Pourtant, en arrivant en gare de Noisy, personne n’est au courant de notre venue. « Que venez-vous faire là ? » demande-t-on à l’équipe de conduite. Nouveaux de coups de téléphone entre le PVC et la SNCF et les ennuis s’arrangent. La rame s’endort à Noisy. Ouf… !

Mercredi 28 mai

Comme prévu, dès huit heures, le groupe de voyageurs anglais et les accompagnateurs du PVC sont sur les quais de la gare de l’Est. Personne n’a pu être prévenu des horaires de dernières minutes. Informés de nos ennuis, tous acceptent la longue attente et se regroupent au pied de la voie 3.

La haute pendule de la gare indique bientôt 10h00 mais notre rame, annoncée voie 3 n’est toujours pas en vue. A 10h20, nous voyons enfin la queue de notre rame refoulée sur la voie 7. Le personnel de la gare n’est pas au courant de ce train spécial. Un contrôleur SNCF désigné pour nous accompagner est tout de même présent, ce qui laisse à penser que tout n’a pas été oublié. La manœuvre est effectuée sans perte de temps mais malheureusement nous quittons Paris Est avec 50 minutes de retard. Il est 11h10.

Pendant ce temps, notre président Gilbert, resté à Sotteville, s’active pour faire établir l’horaire de retour qui n’est toujours pas connu. Il s’adresse aux PC de Strasbourg, Reims et Paris Est qui vont activement s’occuper de nos problèmes. Nous avons confiance, le « président » a les affaires en main…

Maintenant que nous sommes en route, une généreuse sensation de bien-être investit le cœur de ceux qui se sont donné tant de mal pour que ce train circule. Les Anglais ne font aucune remarque désagréable mais ils sont déçus par ce retard qui imposera une arrivée tardive (23h30)  en gare de Strasbourg.

Il ne nous reste maintenant qu’à gérer les petits problèmes qui pourraient se poser. Notre confiance est totale. La machine, crachant ses escarbilles, tourne comme une horloge et elle atteint les 100 Km/h sans aucune faiblesse. Le temps est de la partie. Un radieux et chaud soleil rend le paysage lumineux et plaisant. La vie devient belle…

La marche n’étant pas trop tendue, nous remontons lentement notre handicap horaire. Après avoir quitté la région parisienne, traversé Meaux et longé les méandres de la Marne, nous arrivons à Château-Thierry, notre premier arrêt (photo) . Il est 12h30 et nous avons gagné 20 minutes sur notre retard. Les pompiers ayant promis le ravitaillement en eau doivent se trouver quelque part mais nous ne les voyons pas. Où sont-ils ? Un appel à la caserne nous apprend qu’ils déjeunent et qu’ils ne se déplacent pas entre 12 et 14 h. L’interlocuteur précise que nous devrons attendre pour voir arriver les rutilantes voitures rouges. La blague à un goût amer. Ainsi donc, nous voila plantés en gare de Château-Thierry, au motif que les pompiers se restaurent. Décidément ce voyage ne nous laisse aucun répit.

Branle-bas de combat parmi les membres du PVC qui vont s’activer à trouver autour de la gare une bouche d’incendie. Il doit bien y en avoir une quelque part. Nous la trouvons sur la grande place, à l’angle d’une rue occupée par un bar. Les 250 m de tuyau sont sortis du fourgon et alignés en urgence. Bien évidemment nous reperdons le temps que nous avions gagné entre Paris et Château-Thierry. Le plein d’eau est fait, les tuyaux sont roulés et le porte-voix du voyagiste anglais braille aux voyageurs l’ordre de regagner leurs places. La rame peut repartir, il est 13h05.

En ligne entre Chateau-Thierry et Châlon en champagne.

Ce n’est pas pour nous plaindre, mais nous supposons que les ennuis ont assez duré et qu’il conviendrait maintenant que la bonté du « ciel » revienne sur nous. J’imagine un voyage qui se déroulerait sans soucis et je me mets à y croire tant la machine fonctionne merveilleusement sous ce ciel d’été à peine constellé de quelques minuscules nuages blancs. Après un déjeuner servi dans la voiture postale et élaboré par notre Alain, l’homme à tout faire, nous longeons encore la Marne, passons Châlons-en-Champagne et arrivons à Vitry-le-François où le plein d’eau ne pose aucun problème.

Arrêt à Vitry-le-François et branchement pour le plein d’eau

 Bar-le-Duc est traversé puis nous longeons la Meuse avant d’entamer une longue montée de 6 et 8 pour mille sur 20 km. Roger, notre responsable machine, est anxieux ; je le vois toupiner devant les schémas du profil de la ligne qu’il a minutieusement mis côte à côte. Sa machine va t-elle réussir à gagner le sommet ? Au manche, Robert fait du mieux qu’il peut. La montée est rude et comme dans la chanson des Trois Sapins, (si chère à Roger) plus la pente monte et plus l’aiguille de pression descend. Bravement le sommet est franchi mais un petit arrêt de quelques minutes s’impose pour regonfler la marmite dont la pression n’est plus qu’à 8 bars. Quelques instants plus tard notre rame s’ébranle pour rejoindre Commercy puis Toul où nous n’accusons qu’un léger retard sur notre horaire. Il est 17h45 et notre Roger respire, le plus difficile est passé ! Un rapide coup d’œil pour trouver notre tombereau de charbon. Le tractopelle rouge est bien en place mais nous ne voyons pas le wagon tombereau. Ne vous inquiétez pas, nous dit-on, il y a bien un wagon de charbon pour vous en gare mais c’est un wagon trémie. Bien que cela ne corresponde pas à ce que nous avions commandé, la présence du charbon nous rassure. Nous passerons simplement plus de temps à décharger le wagon car le tractopelle convient mal au déchargement d’un wagon trémie. Chacun garde son calme car nous avons maintenant pris l’habitude des fâcheuses nouvelles. C’est donc à l’aide d’une bonne dose d’huile de coude et de volonté que l’opération remplissage tender sera menée.

La machine en voie de garage pour le réapprovisionnement. La trémie est devant, le tractopelle est inadéquat dans ce cas car la trémie se décharge par le bas. A Toul plein d’eau et placement des briquettes. Graissage pendant l’arrêt de Toul.

Vérification des organes avant le départ de Toul.

Pendant ce temps, la boîte à fumée et le cendrier sont vidés, les graissages et le plein d’eau sont effectués. Notre stationnement à Toul s’avère bien plus long que prévu. Il est toujours plus délicat de donner les soins à la machine sur un terrain que nous ne connaissons pas.

Nous quittons Toul à 19h25 avec plus d’une heure de retard. Ce n’est pas grave, l’arrêt de Nancy sera suffisamment long pour effacer ce handicap. Nous longeons la Moselle sur un itinéraire joliment éclairé par un soleil arrière descendant vers l’Ouest. Nancy est gagné pour un arrêt bien plus court que prévu.

Nous quittons Nancy à 21h17, heure initialement prévue. Nous longeons la Meurthe qui agrémente notre chemin jusqu’à Lunéville. Un nouveau plein d’eau à Réding et c’est la dernière étape avant Strasbourg. La nuit tombe, la fatigue se fait sentir. Quelques personnes somnolent tandis que d’autres discutent et se désaltèrent encore au bar. A une quarantaine de kilomètres de Strasbourg, au PK 468 à la hauteur de Detwiller, un arrêt en ligne se prolonge étonnamment. Que se passe t-il ? Nous ouvrons les vitres et nous ne voyons pas de signaux. Ce n’est pas normal. A la lueur d’une torche, nous prenons la piste pour aller aux renseignements. Le verdict tombe sans que nous puissions en comprendre le sens : « Le manomètre de pression n’est plus qu’à 8 bars malgré les bons coups de pelles des chauffeurs qui, suant toutes leurs eaux, chargent du mieux qu’ils peuvent le foyer qui s’éclaire de vilaines flammes bleues.

Il nous faut attendre plus d’une heure pour que la pression remonte à 14 bars avec un niveau d’eau faiblard. Sans trop y croire, l’équipe de conduite tente un redémarrage. Pendant ce temps, à l’aide des téléphones portables, nous avisons les hôtels que nous arriverons bien plus tard que les 23h30 prévues.

La rame se traîne lamentablement à 30 Km/h sur quelques kilomètres puis c’est un nouvel arrêt. Nous sommes au PK 480 à Mommenheim, soit environ 20 Km avant Strasbourg. Tomber en panne si près du but après avoir parcouru 480 Km nous apparaît comme un acharnement démoniaque qu’il faudra bien comprendre un jour… !

L’heure tourne et le train n’avance plus. Le groupe d’Anglais qui avait souhaité arriver à Strasbourg avant 20h00 ne s’impatiente même plus. Le flegme britannique certainement !

Malgré tous les coups de pelles de nos chauffeurs épuisés, force est de constater qu’il devient impossible de remonter la pression. Plus il y a de charbon et moins ça chauffe. La décision est prise de demander le secours à la SNCF. Le CTRA, un homme actif ne craignant pas les décisions, mène l’affaire efficacement. Il nous faut tout de même attendre près de deux heures en pleine voie avant que nous redémarrions avec une 16500 en tête. Malgré la traction de secours, la pression dans la chaudière de notre machine baisse. Mais d’où vient donc le charbon livré à Toul ?

Il est 3h20 du matin quand, la tête vaseuse, nous arrivons en gare de Strasbourg. Les voyageurs reçoivent les instructions pour le départ du lendemain qui se fera dès 9h30 puis ils regagnent leurs hôtels pour une nuit qui sera courte. Notre machine, accompagnée de Roger, Alain, Didier et Michel, est dirigée seule vers le dépôt d’Hausbergen. Quant à la rame, elle reste stationnée en gare de Strasbourg pour être prête à l’heure prévue.

Au dépôt, l’équipe de nos quatre volontaires essaie une dernière fois de remonter le feu. C’est l’échec. La conclusion de l’incident est évidente : il ne peut s’agir que d’un très mauvais charbon. Les quatre gars vont se reposer. Ils sont épuisés par une si longue journée.

A cet instant de notre aventure, nous comprenons que ce voyage ne nous laissera aucun répit. L’organisation a été laborieuse, le voyage semble vouloir l’être tout autant.

Résumons la situation. Nous sommes en gare de Strasbourg avec pour mission d’emmener des voyageurs anglais à Colmar dans la matinée, Mulhouse dans la soirée et Paris Est dimanche soir. Nous sommes sans combustible mais avons en queue de notre rame un wagon trémie rempli de charbon guère plus efficace que des galets de plage et le tender en est plein. Il nous faut dans les meilleurs délais trouver un nouveau combustible et le moyen de vider celui qui se trouve dans le tender, ce qui, soit dit en passant, n’est pas une tâche habituelle. La seule information rassurante, c’est que la SNCF accepte d’acheminer notre rame à Colmar puis à Mulhouse. Ce n’est pas ce qui était convenu mais c’est le seul moyen envisageable pour que les Anglais poursuivent leur voyage en Alsace.

Jeudi 29 mai

Vers 8h00 une seconde équipe, composée de Sylvain, Antoine et Alain, rejoint la machine stationnée au dépôt d’Hausbergen. Ils ont pour mission de jeter le feu.

A 9h30, la rame, attelée à deux machines électriques SNCF, quitte Strasbourg pour Colmar. Comme prévu la nuit a été très courte. Sur le parcours, les curieux, appareils photos et caméras aux poings, sont présents pour immortaliser le passage de la Pacific dans une contrée qui ne l’a jamais vue. Leurs mines déconfites témoignent de la déception de ces gens qui voient passer sous leurs yeux deux 16500 tractant une vieille rame. Ce n’est pas ce qui était écrit dans le journal local… !

En gare de Colmar, nous sommes garés voie 4 et les voyageurs nous quittent pour aller naviguer sur le Rhin. Une petite poignée de membres du PVC reste à la rame et profite de l’occasion pour assurer quelques nettoyages ainsi que les pleins d’eau des voitures. Tout ceci s’effectue grâce à l’efficacité d’un jeune chef de service, ravi et passionné par notre visite. A midi, la température est caniculaire et, pour éviter la dérangeante étuve de la voiture postale, nous sommes autorisés à sortir les tables sur le quai pour déjeuner. Nous sommes à l’abri du soleil en un endroit parfaitement ventilé. Quelques voyageurs de passage s’étonnent de trouver une tablée en cet endroit peu commun. Ils nous saluent et passent leur chemin. L’ambiance est agréable. Malgré les ennuis, il ne sert à rien de s’angoisser. On finira bien par trouver des solutions aux problèmes. Nous devons profiter de cette journée pour nous détendre car nous savons que, dès demain, une lourde charge de travail nous attend.

Il est 13h30 quand les trois courageux ayant vidé le tender et mis le charbon en sac débarquent en gare de Colmar. Ils ont le visage terne et fatigué.

A 16h10, la rame, à nouveau occupée par ses voyageurs, quitte Colmar en direction de Mulhouse, toujours tractée par deux 16500. Ce n’est pas très rétro mais ça marche… !

Vendredi 30 mai

Après une nuit meilleure que la précédente, nous sommes de nouveau en forme pour tenter de régler les problèmes. En fait, il y a deux soucis majeurs. Le premier, c’est de trouver du charbon pour le départ de Mulhouse et le second, c’est d’en trouver à Chaumont pour le ravitaillement en cours de route. Alain, en efficace secrétaire qu’il sait être, nous donne quartier libre pour aller visiter le musée du Mulhouse. Pendant ce temps, il va tenter d’y voir clair. Se souvenant qu’il y avait un wagon trémie rempli de bon charbon à Sotteville, Alain prend contact avec Gilbert, pour qu’il puisse prévoir une expédition urgente de ce combustible sur Chaumont. Ce n’est pas une tâche facile.

Pendant ce temps, une grande partie de l’équipe PVC logée en gare de Mulhouse, doit prendre un bus pour se rendre au musée. Après quelques moments de flottement pour trouver le numéro du bus desservant le musée, le groupe constate que celui-ci vient de partir. Le prochain est affiché une heure plus tard ce qui n’est pas raisonnable pour les gens pressés que nous sommes. Qu’à cela ne tienne, un débrouillard prénommé Jean-Paul, se renseigne et trouve un autre bus dont l’itinéraire nous rapprochera du but. De l’avis du chauffeur, il ne nous restera qu’un bon kilomètre à parcourir à pied. Nous sommes une quinzaine d’ardents Normands à monter dans ce véhicule occupé par quatre voyageurs tristounets. Au premier carrefour, l’ambiance dans le bus s’est déjà transformée en une atmosphère de fête. Les plus bavards racontent des histoires avant d’être bruyamment acclamés par les autres. Les quatre voyageurs mulhousiens se demandent d’où viennent ces hurluberlus ressemblant plus à une bande de marins en bordée qu’à des passionnés de locomotives à vapeur. L’ambiance est telle que le chauffeur du bus se détourne de son itinéraire imposé pour nous déposer au pied de la porte du musée. L’initiative est de taille et, après les remerciements que vous imaginez, nous voilà enfin devant le but de notre balade.

L’accueil au musée est assuré par un ancien de la vapeur qui nous dirige vers les lieux non accessibles au public. C’est un privilège fort apprécié. Nous y voyons du matériel en attente, soit de restauration, soit d’une place pour être exposé. Pour la partie ouverte au public, chacun trouvera son bonheur au rythme qui lui conviendra.

En début d’après-midi, Alain nous rejoint au musée et nous informe qu’il est bien difficile de régler des problèmes un vendredi, lendemain de férié. Je vois à sa tête qu’il est soucieux.

Fort à propos, le directeur du musée de Mulhouse, avisé de nos ennuis, nous informe qu’il possède derrière ses hangars une dizaine de tonnes de charbon de bonne qualité qu’il accepte de vendre, à la seule condition que nous puissions le prendre avant 18h00. Il est déjà 14h00. Comment faire ? La rame se trouve stationnée à 20 minutes du musée et nous n’avons ni moyen de chargement ni moyen de transport.

Nouveau branle-bas de combat. Les loueurs de matériel sont contactés mais il n’est pas simple de dénicher du matériel disponible un vendredi après-midi. Nous trouvons un camion mais ce n’est qu’un 3,5T et il est garé chez un concessionnaire de Colmar qui refuse de nous l’amener. Nous dénichons un tractopelle mais il est garé à dix kilomètres de Mulhouse. Il nous faut prendre rapidement une décision pour récupérer au plus vite ce matériel.

Grâce à l’obligeance d’un monsieur se trouvant au musée, Adolphe, Sylvain et moi-même sommes emmenés en toute urgence chez un loueur de voiture de Mulhouse où nous empruntons un Kangoo pour aller chercher le camion à Colmar. Il n’y a pas de temps à perdre, l’horloge tourne. Les 50 Km qui séparent Mulhouse de Colmar sont vite parcourus mais nous éprouvons quelques difficultés à trouver le loueur qui est implanté au milieu d’une zone industrielle. C’est fou ce que c’est compliqué une zone industrielle !

Pendant ce temps notre président qui, après avoir brillamment obtenu les horaires de retour pensait avoir la vie tranquille, s’active du mieux qu’il peut pour donner satisfaction à la requête d’Alain. Et lui qui, en visionnaire qu’il ne sait pas être, m’avait dit avant le départ : « tu verras, tout ira bien » ! Il lui faut dégoter un camion et les moyens de le charger rapidement afin que nous trouvions le charbon en lieu et place dimanche. Gilbert s’arrache les cheveux blancs… ! Tout paraît simple mais régler tant de problèmes en une journée devient un sacré casse-tête. Gilbert déniche un camion, un chauffeur et un tractopelle mais devra salir sa chemise pour participer, avec Jacques, un volontaire trouvé sur place, à la manutention qu’impose le transbordement du charbon sottevillais.

Dans le même temps, le retour sur Mulhouse se fait avec le camion de location et le Kangoo mais il est déjà 17h00 quand nous sommes de retour au musée. Le directeur maintient sa limite de 18h00, heure de fermeture de son établissement. Cet ultimatum ne correspond plus à rien puisque l’opération est irréalisable en si peu de temps. Finalement nous trouvons un arrangement et nous reprenons confiance.

De leur côté, Antoine, Didier et Grégory prennent le train en direction du dépôt d’Hausbergen. Ils ont pour mission de vider le tender de son mauvais charbon qui se trouve au-dessus du bon. Nous pensons qu’il en reste suffisamment en dessous pour permettre à la machine de parcourir la centaine de kilomètres qui relie Strasbourg à Mulhouse. Après cette corvée, il leur faudra rallumer la machine et la mettre en pression pour son retour prévu dans la matinée de demain.

A peine revenu de Colmar avec le Kangoo, Adolphe embarque Alain pour aller chercher le tractopelle garé à 10 km. La vitesse moyenne de cet engin sautillant comme un jeune cabri ne dépassant pas les 30 Km/h, il est 19h15 quand l’ensemble du matériel se trouve rassemblé au musée. Le calcul est vite fait : le camion ne pouvant transporter plus de 1,3 tonne par voyage, il ne faudra pas moins de sept voyages pour emmener le charbon du musée jusqu’en gare, soit environ 7h00 de travail.

Un musée plein de ressources…

A 21h00, après deux allers et retours, nous arrêtons. Il est hors de question de continuer, d’autant qu’une soirée alsacienne est prévue dans le restaurant du musée. Au menu, choucroute, bière et animation digne des patronages d’antan. Peu importe, nous sommes là pour nous amuser et oublier nos nombreux soucis. Après quelques chants suivis de valses, tangos, paso doble et autres danses qui achèvent d’épuiser nos corps fourbus, la soirée se termine. Il est à peine 1h00 du matin. Bonne nuit les petits… !

Samedi 31 mai

Tôt le matin, à peine la choucroute digérée, notre ami Roger attrape un train en direction de Strasbourg. Il est désigné pour ramener la machine sur Mulhouse. Pendant ce temps, les rotations de charbon entre la rame et le musée ont repris. Jean-Pierre manie le tractopelle avec aisance et le combustible est déposé sur un parking neuf près de l’endroit où stationnera la locomotive. Dans la matinée, une autre équipe de volontaires s’active à nettoyer les vitres des voitures. Personne ne chôme.

Il est 11h10 quand, avec un grand soulagement, nous assistons au retour de notre Princesse.

L’arrivée de la machine à Mulhouse. Quel soulagement !

Tout va bien. Il est maintenant évident que l’incident de mercredi ne peut provenir que de la mauvaise qualité du charbon pris à Toul. Que dire de l’état de fraîcheur de nos trois volontaires qui ont passé toute la nuit à Hausbergen avant de rejoindre Mulhouse en tant que chauffeur ? Leur visage est d’une noirceur à faire pâlir le diable en personne. Un brin de toilette et un sommeil bien mérité permettront de ragaillardir nos jeunes héros.

Nos chauffeurs après une nuit passée à vider le tender

Le transport du charbon est terminé vers midi. Après quelques soins de graissage en gare de Mulhouse, la machine est dirigée vers le lieu de stationnement prévu. Le travail de remplissage du tender va pouvoir commencer. Le charbon posé sur le parking va être déversé dans le tender et le reste sera mis dans des sacs puis dans le fourgon. Il fait chaud, la sueur coule sur le front des volontaires qui réclament à boire et à qui Alain avait dit un jour « Il n’y aura plus jamais de corvée de charbon ». Comme quoi il ne faut jamais croire les « chefs » !

En gare de Mulhouse, remplissage du tender au tractopelle, chargement du tender, vidage de la boîte à fumée.

La Princesse est prête pour la remise en tête au départ de Mulhouse.

 

En fin de journée, tout est terminé. Le tender déborde de charbon, la machine est en pression, le parking est nettoyé, le camion est reconduit à Colmar, le tractopelle est rendu à son propriétaire, le kangoo est ramené chez le loueur, les voitures voyageurs sont propres et les hommes sont éreintés mais contents d’avoir réussi un bel exploit.

Le soir, repas barbecue au pied de la rame. La température est douce et l’euphorie est présente. Le plaisir de savoir que les ennuis sont réglés permet de libérer les tensions. La longue table est dressée, l’apéritif est servi et la bonne humeur se fait entendre. Roger entonne SA chanson des « Trois Sapins » sous les coups de sifflets des machines qui circulent et saluent ainsi l’original banquet. Le refrain est repris par le groupe, ce qui donne à ce lieu poussiéreux, au dessous d’un pont métallique, une ambiance à la Fellini. Il faut dire que nous respirons. Avec ce qui vient de nous arriver, il serait injuste que le retour nous pose d’autres problèmes. Ce serait alors un acharnement digne des plus mauvais romans.

Mulhouse, un repas de fin de séjour bien mérité.

Dimanche 1er juin

Le temps est lourd, la nuit n’a pas été très bonne. Ce n’est pas grave. La trémie de mauvais charbon est dételée de la rame car il est inutile de traîner 40 tonnes de combustible inutilisable. A 7h30, nos amis anglais arrivent par grappes et rejoignent leurs compartiments. Ils ignorent tout du travail qui a été effectué depuis leur départ de Colmar. Pour eux la Princesse toute fumante est en tête, donc, tout va bien.

A 7h45, notre train s’ébranle, laissant à Mulhouse une page de la vie du Pacific Vapeur Club.

C’est avec une âpre volonté que nous croyons à la fin de nos problèmes. La machine galope et l’horaire prévu est admirablement respecté. A Vesoul, les pompiers sont là. Nombreux, très nombreux, ils ont certainement vidé la caserne pour découvrir la Princesse. Pas moins de six véhicules de pompiers auxquels on peut ajouter une ambulance du SAMU sont stationnés sur le terre-plein de la gare. Nous n’en demandions pas tant. Les hommes et les femmes, casqués et en tenue bleue à liserés rouges, sont ravis de nous rendre service. Ils montent tour à tour dans la cabine de conduite, c’est sympa. Sur le quai, les flashs des appareils photos crépitent, la foule est enthousiaste.

 

Plein d’eau à Vesoul assuré par des pompiers enthousiastes.

Nous quittons Vesoul à l’heure et gagnons Culmont Chalindrey puis Langres sans ennui. Les curieux sont présents, tant sur le parcours que dans les gares, où nous devons faire la police pour limiter la montée dans les voitures. Pascal, notre chef de train, s’active du mieux qu’il peut pour veiller au respect des règles de sécurité. Pendant ce temps, Martine, Isabelle et une adhérente fort motivée dont le mari précise qu’elle vendrait du sable dans le désert, proposent aux curieux les nombreux articles de la boutique, c’est une bonne occasion pour l’association de se faire connaître et d’encaisser quelques « sous » dont on a tant besoin.. !

Pour les chauffeurs, c’est une difficile journée. Il fait chaud, très chaud et c’est pour eux un travail aussi pénible que celui décrit dans « la bête humaine » par Zola. Nos hommes doivent côtoyer les 1200 degrés d’un foyer qui, cette fois-ci, parvient à donner sans problème les 15 bars de pression à la machine.

Le parcours entre Langres et Chaumont est superbe. Peu avant Chaumont, méandres du canal de la Marne.

Nous longeons dans une multitude de petits méandres la Marne et son canal engoncé dans son lit. A Chaumont, pas de surprise. Le tractopelle est présent ainsi que le charbon provenant de Sotteville. Graissage, bascule, plein du tender, tout est mené dans les délais. C’est si facile quand tout va bien.

Sur le viaduc de Chaumont, quelle majesté !

Nous quittons Chaumont à l’heure. La ligne 4, sans caténaire mais avec ses anciens poteaux télégraphiques pourvus de leurs tasses vertes, nous plonge dans ces temps anciens où régnaient ces monstres à vapeur.

Notre train sur la ligne 4. Remarquez le tunnel bien en ligne (on voit la sortie opposée).

Le parcours qui s’offre à nos yeux est remarquable. Comme des gamins voyageant pour la première fois, nous sommes le nez aux fenêtres à profiter d’un itinéraire pittoresque parfois troublé par un nuage de vapeur ou de fumée noire. De temps à autre, la voie ferrée longe la route et les automobilistes, vitres ouvertes, saluent d’un large geste les voyageurs du train rétro. Pour nous, les soucis laissent place à un plaisir largement partagé.

Le mécanicien aide et contrôle le plein à Romilly : Il fait chaud…très chaud ! Il n’y a pas que la machine qui ait soif ! 

Ce ne sont que quelques ralentissements dans la banlieue parisienne qui nous font arriver en gare de l’Est avec 15 minutes de retard.

L’arrivée en région parisienne. Le mécanicien de la 72000 a dû être aussi surpris que le Sacré Cœur !

La machine a merveilleusement bien fonctionné. L’aventure est terminée et les Anglais ont oublié l’arrivée tardive à Strasbourg. Quant aux membres du PVC, ils sont certes fatigués mais ravis de l’aventure qui a confirmé leur solide amitié.

Fin de la promenade : Ce n’est qu’un au revoir.

Les valises sont descendues et chacun se retrouve en gare Saint-Lazare pour rentrer sur Rouen. Il est 20h45. Il y a un monde considérable dans cette gare. Le train dont le départ était prévu à 19h30 est encore à quai. Que se passe-t-il ? Nous apprenons que, par suite de gros orages, des installations électriques ont été touchées. Comme quoi on ne se débarrasse pas si facilement des problèmes. Après un départ au ralenti puis un long arrêt à Mantes-La-Jolie, le train Corail nous dépose à Rouen vers 22h30.

Quant à l’ensemble de notre rame, une équipe la ramènera dans la nuit jusqu’à Sotteville car, en raison des grèves à venir, les responsables de la SNCF ont refusé un stationnement à Achères.

Mulhouse / Sotteville d’une seule traite avec une 231 G, voilà un bel exploit à mettre au crédit des mécaniciens et des chauffeurs du PVC !

Alors, que s’est-il passé avec le charbon ? Aux dernières nouvelles, il y aurait eu une erreur de wagon. La trémie trouvée à Toul ne nous était pas destinée. Quant au wagon tombereau réservé au PVC, nous le cherchons encore…

PS : Ce périple n’a pu se faire sans la participation active des membres présents du PVC mais aussi grâce à un bon nombre de bonnes volontés que nous avons rencontrées sur place.

Merci à tous.

 

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Deauville, 3 octobre 2015

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Philippe CARON

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